Interview de Corinne Cahen avec Le Quotidien

"Ce qui est important, c’est d’activer les gens"

Interview: Le Quotidien (Geneviève Montaigu)

Le Quotidien: Vous avez présenté, lundi dernier devant la commission parlementaire, le projet de loi réformant les allocations familiales. Les députés chrétiens-sociaux devaient vous attendre de pied ferme...

Corinne Cahen: Ils ont clairement dit qu'ils n'étaient pas d'accord avec cette réforme, mais le CSV s'est montré très constructif, les députés ont posé des questions et c'était une très bonne réunion de commission. L'opposition m'avait demandé de venir présenter le texte et dorénavant, dès que je déposerai un projet de loi, je viendrai l'exposer devant la commission parlementaire sans attendre l'avis du Conseil d'État. Quand celui-ci sera disponible, les travaux parlementaires débuteront plus intensément. Je viendrai de la même manière présenter le projet de loi sur le congé parental lundi prochain.

Le Quotidien: Avec la suppression de l'allocation d'éducation et de maternité, le CSV vous accuse de sanctionner un modèle familial pour en imposer un autre. Que lui répondez-vous?

Corinne Cahen: Ces 480 euros pendant 20 mois ne suffisent pas pour subsister. Ils ont donné l'illusion d'un choix, qui en réalité n'existait pas et qui risquait d'orienter les femmes vers des situations précaires. Cette allocation d'éducation aurait dû être abolie en 1999 quand le congé parental est entré en vigueur. J'ignore pourquoi cela n'a pas été fait. Mais je veux être claire : nous ne favorisons aucune manière de vivre. Chacun doit assumer ses choix. Nous constatons que la plupart des gens dans ce pays travaillent, c'est une réalité. Nous ne faisons qu'adapter les lois aux besoins de la population et des jeunes parents. C'est avec la réforme du congé parental que nous allons favoriser ce lien que les parents ont avec leur bébé, car ils vont pouvoir en profiter davantage avec un revenu de remplacement allant jusqu'à 3.200 euros par mois. Ce congé parental sera également rendu plus flexible en accord avec les employeurs, et ces deux éléments réunis permettront à plus de parents de prendre un congé parental. Nous ne voulons pas que les parents aient un choix à faire entre famille et travail, nous voulons qu'ils puissent combiner les deux.

Le Quotidien: Les congés pour raisons familiales que vous venez de modifier, c'est aussi pour répondre à une réalité?

Corinne Cahen: Oui, nous répartissons différemment le nombre de jours de congé pour raisons familiales afin de donner plus de flexibilité aux parents lorsque leur enfant est malade. Jusqu'à présent, les parents avaient droit à deux jours par enfant et par an jusqu'à l'âge de 15 ans, mais nous savons pertinemment que les très jeunes enfants sont plus souvent malades et ont besoin de plus d'assistance. Avec le ministre du Travail, Nicolas Schmit, nous essayons de faire une politique qui puisse servir aux jeunes enfants et à leurs parents mais aussi aux employeurs. Nous savons très bien que les parents se sont toujours arrangés en trouvant le moyen de rester à la maison. Nous préférons donc écouter les parents pour savoir de quoi ils ont le plus besoin. Il fallait faire un état des lieux de l'existant, comme le congé parental en vigueur depuis 15 ans. Nous l'avons fait analyser, nous avons demandé aux personnes qui l'avaient choisi et à ceux qui y avaient renoncé d'expliquer ce choix. À partir de là, nous avons pu apporter des améliorations contenues dans le projet de réforme.

Le Quotidien: Les employeurs regrettent que cette réforme du congé parental donne plus de flexibilité au salarié, mais ne permette pas à l'entreprise d'être plus souple pour qu'elle puisse s'organiser en conséquence...

Corinne Cahen: Premièrement, un patron est libre de ne pas accorder de saucissonnage. Aujourd'hui, nous avons droit à un congé parental à temps plein pendant 6 mois (obligatoire) ou à temps partiel pendant 12 mois (uniquement avec l'accord de l'employeur qui peut donc refuser). À l'avenir, ce sera exactement pareil, en ce sens où l'employeur sera obligé d'accorder un congé parental à temps plein et toutes les autres convenances sont possibles avec l'accord des deux parties. Des entreprises me disent qu'elles préfèrent finalement l'absence un jour par semaine d'un salarié pendant 20 mois, car cela leur évite de prendre un remplaçant, cette absence étant tout à fait gérable. Si certaines entreprises se plaignent, c'est un faux débat. En revanche, je peux les comprendre, car elles sont en pleine discussion sur l'organisation du temps de travail avec le ministre Nicolas Schmit et les syndicats avec notamment la question des périodes de référence qui reste à trancher. Les entreprises disent qu'elles veulent bien être flexibles, d'un côté, mais elles aimeraient trouver un peu plus de flexibilité, de l'autre. C'est de bonne guerre.

Le Quotidien: Une autre réforme annoncée est celle du RMG. Où en êtes-vous?

Corinne Cahen: Nous avons un premier draft et nous commencerons sous peu à entrer en dialogue avec le secteur. Le ministère de la Famille a rédigé, avec le ministère du Travail, un texte qui traduit l'importance pour ce gouvernement d'activer les gens au sens large du terme. Nous mettons l'accent sur une politique d'inclusion sociale qui entend stabiliser les gens, d'un côté, et qui entend, de l'autre, les motiver et les aider à prendre leur vie en main et à s'intégrer dans notre société à travers un travail, un logement et des contacts sociaux. Ce qui est important, c'est d'activer les gens car c'est essentiel pour subvenir à ses besoins, être autonome et ne plus vivre au crochet de la société. Tout le monde peut avoir une mauvaise passe dans la vie et notre devoir est de les aider à passer ce moment difficile pour les remettre d'aplomb. Ceux qui ne sont plus activables pour des raisons multiples doivent évidemment aussi bénéficier de notre aide.

Le Quotidien: Il faut, selon vous, remettre la valeur travail au premier plan?

Corinne Cahen: Non. Plutôt les valeurs "indépendance" et "estime de soi". Nous voulons aider les gens à ne plus être dépendants de l'Etat.

Le Quotidien: Vous avez été épinglée par le CSV pour avoir dit que le DP faisait une politique pour faciliter la vie des gens qui se levaient chaque matin pour aller travailler...Et les autres?

Corinne Cahen: Je suis du quartier de la Gare, non loin de l'Adem, j'ai travaillé dans un secteur où l'on discute avec beaucoup de gens et je peux vous dire qu'il n'y a pas pire travail que de rechercher un emploi. Se lever le matin, écrire des CV, des lettres de motivation, passer des entretiens d'embauche, c'est du travail. Idem pour ceux qui s'occupent du ménage et des enfants. Je n'ai pas compris l'attitude du CSV.

Le Quotidien: Le DP avait fait de la sélectivité sociale un cheval de bataille, mais on ne la retrouve pas dans la réforme des allocations familiales, là où on l'attendait le plus. Pourquoi?

Corinne Cahen: Cette sélectivité sociale, on la retrouve en revanche dans la subvention loyer, dans les bourses d'étudiants qui vont encore être adaptées. Mais c'est vrai, on ne la trouvera pas dans les allocations familiales, car selon nos calculs, trop de personnes auraient été lésées. Nous avons décidé que tous les enfants seraient traités de la même manière. Dans le RMG, nous allons prendre encore plus en considération les enfants qui ne comptent aujourd'hui que pour une moitié. Nous allons améliorer cela en prenant en compte le nombre d'enfants pour calculer le complément RMG dont une famille a droit.

Le Quotidien: Jeudi dernier, vous avez déclaré vous attendre à un nouvel afflux de demandeurs de protection internationale. Êtes-vous prête à les accueillir?

Corinne Cahen: Nous aurons des solutions d'hébergement à Diekirch, Marner, Steinfort, Junglinster et il y aura encore Esch et la ville de Luxembourg. Nous essayons d'avoir une structure dans le Nord également. L'ensemble du gouvernement est solidaire pour travailler sur ce dossier, c'est la raison pour laquelle nous avons fait les quatre réunions de plan d'occupation des sols (POS) au mois de décembre avec les ministres Meisch, Kersch, Bausch et moi-même aux quatre coins du pays.

Le Quotidien: Vous rencontrez souvent les réfugiés. Comment se sentent-ils?

Corinne Cahen: Les gens sont tous différents. Ils ne souffrent pas des mêmes traumatismes mais ont besoin d'un accompagnement. Ils sont surtout contents de voir leurs enfants aller à l'école. Ils savent que l'intégration ne sera facile ni pour eux ni pour nous. Les gens que je rencontre sont très reconnaissants, pas très demandeurs mais très motivés pour s'intégrer.

Le Quotidien: Vous avez été élue à la tête du DP en novembre dernier. Comment vous sentez-vous à ce poste et quel a été votre premier acte de présidente?

Corinne Cahen: Vous savez, la politique, pour moi, c'est la lutte pour les valeurs sur lesquelles notre société a été construite : le dialogue, la liberté, le contact avec les gens, la discussion, l'élaboration de solutions pour tous, une bonne, voire une meilleure communication sur ce que nous faisons et sur ce qui sera fait. Mon premier, mon deuxième, mon troisième acte de présidente, c'est ça. D'ailleurs, c'est mon caractère.

Ceux qui me connaissent savent que j'aime communiquer, m'engager pour les gens, faire du concret. Les grands discours ne m'intéressent pas, ce qui m'anime, ce sont les solutions concrètes pour les citoyens. Voilà pourquoi je suis fière de pouvoir lutter à la tête du DP, avec une équipe formidable autour de notre secrétaire général, Marc Ruppert, pour le bien-être des gens.

Le Quotidien: Vous optimisez votre communication dans quel but? Pour qui?

Corinne Cahen: Lorsque nous avons pris cette responsabilité gouvernementale, c'était pour travailler d'arrache-pied pendant cinq ans afin d'adapter le pays à la réalité. Nous avons réussi à redresser les finances publiques, nous sommes en train de diversifier l'offre scolaire, nous avons déposé le projet de loi relatif au congé parental, nous avons introduit une subvention loyer selon une sélectivité sociale. Nous avons précisément fait passer cette aide par le ministère du Logement afin de l'étendre à ceux qui ne bénéficiaient pas du RMG. Je tiens à rappeler que jusque-là cette subvention était exclusivement réservée aux bénéficiaires du RMG sous forme d'un complément loyer et qu'elle n'aidait guère à inciter certaines personnes à sortir du RMG, étant donné qu'elles perdaient alors cette subvention le jour où elles n'avaient plus droit au RMG. La subvention loyer qui est entrée en vigueur en janvier dernier y remédiera et constitue une aide précieuse à ceux qui ont de petits revenus.

Le Quotidien: La préparation des communales est un exercice complètement nouveau pour vous. Comment vous y prenez-vous?

Corinne Cahen: Ce qui est important, c'est de motiver les gens. Nous savons que tous les partis ont des difficultés à compléter leurs listes dans certaines communes. Il faut faire comprendre aux gens l'importance de l'engagement politique. J'ai toujours apprécié ceux qui s'engageaient pour une cause ou qui luttaient pour améliorer leur qualité de vie dans leur village, dans leur école, ou dans leur rue. Le rôle d'un président de parti politique est de dire aux gens d'être actifs au lieu de râler les bras croisés. Le président du parti, avec l'ensemble des circonscriptions, doit aussi définir un programme général et, après, chaque liste aura son programme local.

Le Quotidien: Vous aurez également un rôle d'arbitrage?

Corinne Cahen: Jusqu'à présent, la question ne s'est pas encore posée.

Le Quotidien: Que vous inspire un éventuel retour de Luc Frieden en politique?

Corinne Cahen: J'ai assez de travail comme ça, je ne m'occupe pas des affaires des autres. 

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