"Ouvrir une structure pour toxicomanes vieillissants"

Interview de Corinne Cahen dans le Quotidien.

Interview: Geneviève Montaigu (Le Quotidien)

Le Quotidien: On vous a vue à la Wanteraktioun et au Noël de la rue comme les années précédentes...

Corinne Cahen: Tous les ans, je vais à la Wanteraktioun en tant que bénévole. En premier lieu parce que nous avons besoin de bénévoles et ensuite parce que je me renseigne sur le parcours de ces gens que je rencontre. Cela m'intéresse de savoir d'où ils viennent et pourquoi nous les retrouvons à la Wanteraktioun pour y manger ou y dormir. Je trouve toujours des personnes qui n'ont pas à se trouver là et pour lesquelles nous arrivons à trouver d'autres solutions comme les loger dans des foyers stables. Il y a parfois des jeunes adultes qui sont là parce qu'ils ont été exclus du foyer pour des raisons comportementales et d'autres qui n'ont pas eu de chance.

Le Quotidien: Est-ce un refuge également pour des gens qui viennent de l'étranger?

Corinne Cahen: Oui, il y a par exemple des gens qui viennent au Luxembourg pour essayer d'y prendre pied et ils savent qu'ils ont un endroit où manger et dormir en même temps qu'ils prospectent pour trouver un emploi. Nous avons des gens qui viennent tous les ans et qui repartent après. Nous avons très peu de sans-abri résidents luxembourgeois. Pour ceux-là, nous essayons de trouver un logement avec l'aide de toutes les associations comme la Caritas, la Croix-Rouge, Inter-Actions, ou encore les streetworkers...

Le Quotidien: Combien avons-nous de sans-abri au Luxembourg et ces chiffres sont-ils stables?

Corinne Cahen: Nous en avons une centaine qui dorment à la Wanteraktioun et parmi ceux-là, entre cinq et dix qui sont vraiment de la rue. Il y a des gens qui voyagent aussi. J'ai rencontré un monsieur qui vient d'Espagne pour essayer de trouver du travail, mais c'est difficile pour lui. Il m'a dit récemment qu'il allait poursuivre sa route pour se rendre à Helsinki. Ce sont des gens qui viennent chercher des petits boulots mais ne sont pas vraiment attachés à une ville ou un pays. Pour les chiffres, je dirais qu'ils sont stables. Nous sommes loin du maximum. Je précise que nous acceptons aussi les gens accompagnés de leur chien...

Le Quotidien: Ces gens sont-ils inscrits sur des listes pour obtenir un logement social?

Corinne Cahen: Non pas du tout, la plupart d'entre eux ne sont pas d'ici et repartiront après l'action hivernale. Pour les locaux, je veux dire ceux qui sont du pays, nous sommes souvent confrontés à des problèmes psychiatriques graves, des problèmes de drogue et d'alcool. Nous avons eu le cas d'un monsieur que je connais depuis 2002 du quartier de la Gare - qui dispose d'une maison quelque part dans le pays, mais il est dans la rue, il souffre de claustrophobie. Il ne veut pas être en foyer, ni dans sa maison et le "Housing first" pour lui n'est pas une option. Il est à l'hôpital depuis l'année dernière. Chaque personne a un autre vécu, une autre histoire et une autre raison qui la conduisent jusqu'à la Wanteraktioun.

Le Quotdien: Qu'envisagez-vous pour la population vieillissante?

Corinne Cahen: De par le Fonds national de solidarité, tout le monde peut se payer une maison de retraite ou de soins. Le vrai défi, et on y travaille, c'est de pouvoir ouvrir une structure pour toxicomanes vieillissants. Ils sont trop jeunes pour aller dans des maisons de soins, ils ont moins de 50 ans souvent mais ont déjà une longue carrière de toxicomane derrière eux. Nous sommes en train d'étudier avec nos partenaires du secteur social une solution pour savoir où nous pourrions ouvrir une structure pour ces gens-là. Mais c'est très compliqué : s'ils consomment, nous ne pouvons pas les mettre trop loin, car ils doivent bien trouver leur drogue quelque part et nous serions dans l'illégalité dans la mesure où la possession de drogue est interdite. Nous étudions la question avec le ministère de la Santé.

Le Quotidien: Avez-vous des exemples d'histoires qui se terminent bien?

Corinne Cahen: Absolument! Quand on se retrouve à la rue, c'est surtout qu'on a eu énormément de malchance.

Nous avons quand même un filet social très fin et c'est très difficile de rester dans la rue. Si la personne veut de l'aide, elle en trouve à condition de se conformer aux règles. Le logement est une des choses les plus importantes. Nous avons instauré le "Housing first" qui est une success story. Quand j'étais à la Wanteraktioun.il y a quatre ans, j'ai rencontré monsieur X que je connaissais déjà de Bonnevoie et du quartier de la Gare, bien avant d'être ministre de la Famille, un poste qui me tenait à cœur justement pour pouvoir être utile à ces gens-là. Je lui ai demandé ce qu'il faisait là car je croyais qu'il n'était plus à la rue. En fait, il voulait un chez-soi, ne plus être en foyer pour pouvoir rentrer et sortir quand bon lui semblait. Du coup, il est depuis quatre ans au "Housing first" et cela se passe très bien. Il a passé tant d'années à la rue et l'autre jour j'ai lu une citation de lui sur Facebook où il disait "tu peux sortir un homme de la rue, mais tu ne peux pas sortir la rue de l'homme".

Le Quotidien: Vous leur demandez toujours pourquoi ils viennent à la Wanteraktioun?

Corinne Cahen: Non, pas du tout, quand on aide, on ne demande rien aux gens. Nous ne sommes pas là pour les juger, mais comme j'en connais quelques-uns depuis longtemps, je m'intéresse de plus près à leur sort. Il y a une 'autre histoire qui m'a touchée le soir du réveillon de Noël quand je me trouvais à la Wanteraktioun : je faisais les inscriptions et je vois arriver une dame septuagénaire, une Roumaine que je connais depuis toujours parce que je la croisais dans le quartier de la Gare. Elle m'a dit qu'elle n'avait plus de train pour rentrer en France à cette heure-là. Je lui ai dit que ce n'était pas un endroit pour elle et qu'elle avait intérêt à ne pas rater son dernier train la prochaine fois. Ce n'est pas un endroit pour une femme de cet âge.

Le Quotidien: Le bénévolat est important pour aider les plus démunis et vous le pratiquez depuis longtemps. Comment avez-vous commencé?

Corinne Cahen: En 2011, avec une amie, nous apportions des sacs de couchage et des couvertures dans les campings quand les réfugiés y étaient logés. Je crois que j'ai toujours fait du bénévolat, ce qui pour moi était naturel lorsqu'on croise ces gens tous les jours.

Le Quotidien: Le bénévolat fonctionne-t-il bien au Luxembourg?

Corinne Cahen: Oui, absolument. À la Wanteraktioun, par exemple, nous disposons de suffisamment de monde midi et soir. Beaucoup de gens s'engagent mais aussi des entreprises. Par exemple, quand nous avons eu l'afflux massif de réfugiés, de grandes entreprises ont organisé les repas et dans leurs sociétés ils faisaient les plannings avec des bénévoles pour servir à manger. C'est très touchant et cela fonctionne très bien. À la Croix-Rouge ou à la Caritas, ils n'ont pas à se plaindre cette année, ils ont trouvé assez de bénévoles pour la Wanteraktioun.

Le Quotidien: Vous avez pourtant consacré un chapitre sur le bénévolat dans l'accord de coalition...

Corinne Cahen: En fait, nous devons faire le point sur le bénévolat. C'est un domaine très vaste et nous ne pouvons pas tout organiser de la même façon. La Wanteraktioun est un bénévolat temporaire avec des horaires fixes. Mais le bénévolat, c'est aussi les fanfares, le sport, etc. Tant que les enfants sont dans les clubs, les parents sont disponibles mais dès qu'ils n'y sont plus, le bénévolat s'effrite. Dans le social, pour les personnes âgées ou handicapées, pour les réfugiés ou les personnes en situation de pauvreté, je dois dire que le bénévolat fonctionne très bien. Dans toutes les maisons de retraite, il y a des bénévoles pour organiser des évènements. Quand on fait du bénévolat, on reçoit plus qu'on ne donne. On rentre le soir avec un sentiment de satisfaction qui n'a pas de prix. Quand on participe à rendre des gens heureux, c'est que du bonheur. Hier, on a réussi à placer un jeune de 19 ans de la Wanteraktioun et je suis sûre que j'étais presque plus heureuse `titré lui quand j'ai eu la nouvelle. Sortir quelqu’un d'une situation eéaire et définir un projet de vie avec lui, c'est ce qui importe.

Le Quotidien: Les bénévoles sont-ils toujours les mêmes où assistez-vous à un renouvellement?

Corinne Cahen: Il y a les fidèles, mais cela se renouvelle bien. Nous voyons des gens de tous les âges. J'ai vu un jeune à la Wanteraktioun que je n'avais encore jamais vu et je lui ai demandé comment il avait atterri là et il me disait qu'il était dans un ordre religieux en Belgique et qu'il apprenait à donner aux autres. Nous avons aussi beaucoup de non-Luxembourgeois dans le bénévolat. Je me souviens qu'à la Caritas, ils manquaient de bénévoles pour distribuer les repas alors que dans d'autres associations ils en avaient pléthore. Le soir, j'ai lancé un appel sur Facebook et en une demi-heure il y en avait assez pour toute la saison.

Le Quotidien: Le bénévolat a-t-il des limites?

Corine Cahen: Il faut faire attention car nous avons beaucoup d'associations sur le terrain et cela ne sert à rien d'avoir des gens qui veulent bien faire mais qui font le contraire ou du double emploi. Certains commencent à monter des actions énormes via les réseaux sociaux et après ça déborde de tous les côtés. Si l'on veut se rendre utile, c'est mieux d'aller voir les associations qui travaillent sur le terrain et de leur demander les besoins. Souvent, les besoins ne sont pas du côté matériel mais humain. Il s'agit de donner de son temps et pas un énième sac de couchage.

 

 

 

 

 

 

 

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